Quand le sac à pensées rempli à ras bord déborde et se fait lourd de sens tous azimuts, il faut sans tarder poser les mots noirs d'encre pour défroisser le blanc de la feuille.
Écrire est l'acte suprême, nimbé d'une grâce infinie. Il est plaisir extrême mais aussi torture et frustration, comme les chatouillis agréables d'une plume caressant la peau peuvent vite devenir insupportables.
Entre les virgules, les points en tout genre, les retours à la ligne, les paragraphes, les chapitres, les alinéas, l'essentiel se délite. Il ne reste plus qu'une seule et unique idée de la chose primordiale à dire. Tout le reste devenant fatras et foutoir embrouille à qui mieux mieux le cervelet. La comprenette emmêlée dans mille fils devient difficultueuse.
Pourtant, à la relecture du paragraphe écrit, tout se tient. Seulement voilà, la pensée qui se dessine alors n'est qu'une infime portion de la pensée originale qui a inspiré la réflexion. C'est comme si du soleil on ne voyait qu'un seul rayon, qui plus est, filtré par un nouvel éclairage.
Ce soleil tronqué sans cesse me blesse, car l'autre, ce poète-assis-en-face, lui qui me lit, ne connaîtra jamais le fond exact de ma pensée, de ma réponse entière à sa pensée...
Cela saute pourtant aux yeux, que jamais au grand jamais, écrire tout ce qui passe par la tête dans les moindres détails est chose impossible. Déjà faudrait-il commencer par stopper le flot tumultueux des pensées qui se déverse sans discontinuer, bleuissant chaque jour qui se lève et tous les rêves de la nuit.
Il est impératif de s'y résoudre au plus vite et d'accepter en pleine connaissance de cause que l'on ne délivre qu'une partie infime de soi-même, et pire encore, laisser croire à l'autre que l'on n'a pas tout intégré de son discours.
C'est ce dilemme qui à chaque fois perturbe mon écriture. Parfois même au point de me couper net de l'envie d'écrire...
Et puis soudain, un coin de ciel bigarré, la chute lente d'une feuille d'automne, l'ami écureuil et ses facéties, il n'en faut pas davantage pour que la plume reprenne le chemin de la peau à tanner dans un abandon achevé.
Publié le 23 Novembre 2019
par Katie à l'ombre des mots songeurs
dansmes coups de coeur
- Julio Cortázar -
(Extrait de Crépuscule d'automne)
~
Constatations sur le chemin
"Ce qui est élégiaque, inévitable, qui domine comme l'azur dans les vitraux gothiques, non seulement le fait d'être ici, mais encore par le lecteur qui n'est-pas-pour-rien-lecteur-de-poésie, Elementary, my dear Watson.
Derrière toute tristesse et toute nostalgie, je voudrais que ce même lecteur éprouve l'éclatement de la vie et la gratitude de quelqu'un qui l'a tellement aimée, comme ce que chantait Satchmo remplissant une mélodie banale de quelque chose que je peux seulement appeler communion :
I'm thankful
for happy hours,
I'm thankful
for all the flowers -
Sentiment de participation sans lequel je n'aurais jamais rien écrit (il y a ceux qui n'écrivent que pour se séparer), participation qui participe à son tour à la bêtise et à la naïveté avec une fréquence très élevée, louées soient toutes les trois. Et ce dévouement franciscain à la découverte quotidienne de la même chose et par conséquent toujours nouvelle, et cet enthousiasme que seul Onitsura fut capable de résumer dans un haïku qui paraîtra stupide aux stupides :
Fleurs de cerisiers, plus
et plus aujourd'hui ! Les oiseaux ont deux pattes !