L'histoire de Rature Rainbow (épisode 30)
Je connais les réponses
Pour cause d’évènement majeur dans ma vie, du genre qui squatte toute mon attention dès le réveil, parfois je ne peux m’astreindre à l’exercice de la plume facile.
Que cela vienne à durer deux ou trois jours, et me voilà libérée, pfft… l’envie d’aller tarauder les mots est allée se faire prendre ailleurs.
Toutefois il ne faut pas trop rêver. J’ai le maniement des menottes facile, et je connais le couplet par cœur du besoin qui rapplique ventre à terre pour me rapatrier dans sa geôle.
Pourquoi c’est « l’écrire » qui me vient quand il faut égoutter les mots ?
Pourquoi ne pas tout fracasser, tout envoyer valdinguer à la place ?
Pourquoi le soin pris à faire propre et belle la page blanche ?
Pourquoi je suis si compliquée ?
Quel est ce besoin qui me pousse en dedans ?
Quel est le but visé ?
Ça ne sert à rien d’écrire, mais tant qu’on ne le sait pas on peut planer au beau fixe en tournant les mots.
(Je me déteste quand je me rends compte que je fais semblant de ne pas savoir.)
Ecrire pour moi ce n’est ni tout à fait un plaisir, ni tout à fait une torture.
Je dirais, c’est une prolongation.
Mais une prolongation de quoi ?
De la pensée ?
Bof, la pensée ! Quand on sait ce qu’elle vaut … Tu la tournes en bouche deux secondes et déjà l’idée première a disparu.
De mon chagrin ?
Si chagrin il y a, je devrais être la première informée, il me semble, non ?
Tellement bien informée, que je peux jurer (et même cracher) n’avoir rien vécu qui vaille de verser autant de larmes, étant entendu qu’il appartient à chacun de mettre à son niveau la jauge pour estimer pareille affirmation.
Parfois je me dis que c’est à cause du chagrin ancestral, l’indécrottable qui colle au train du genre humain dès lors qu’il se rend compte de sa condition. Etre et ne plus être, that’s the question, my dear !
Pour être franche, le voilà mon vrai drame. Surtout le fait de n’avoir jamais rien demandé, ni d’être, ni ne plus être.
Pourtant, à en croire certains, la vie c’est le plus beau des cadeaux.
Oui, mais un cadeau empoisonné, alors !
Je m’explique : tu arrives sur Terre, la bobine guillerette, prête à croire que l'éternité t'appartient, comme elle appartient à tout ce qui t'entoure, d'ailleurs. Puis tu fais un tas de rencontres. Les moches, tu les oublies dare-dare, ça ne sert à rien de s'embarrasser, les belles, ma foi, tu t’y habitues comme à l’air que tu respires tous les matins à ta fenêtre. Lorsque tout à coup, patatras, tu commences à comprendre l'étendue du problème. En voilà une qui se fait la belle, puis une autre, et une autre encore. Parties au ciel, on te dit. Mais ne t’inquiètes pas, tu iras les rejoindre dès que ton heure sifflera trois fois, et du coup c’est toi qui abandonneras tous ceux que tu aimes… et l’air qui vient soudain à manquer, c’est juste une question d’habitude, tu verras...
Et il faudrait applaudir et accepter tout ça sans sourciller ?